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[Thought] Blog, dépression et ébriété artistique

J’ai pris une semaine de repos: c’était ma semaine de binge-reading et binge-writing. Je me drogue aux mots, et précisément à ceux qui font mal: ils parlent de la guerre, de la culpabilité, de la douleur. Avec une musique de fond – la bande originale d’un récent coup de coeur cinématographique – qui tourne en boucle sans cesse jusqu’à ce qu’elle me saoule.

Des jours de repos pour me tourmenter. Mais, paradoxalement, qu’est-ce que ça fait du bien de se faire mal ainsi, par ces belles phrases cachées dans un livre d’apparence si inoffensif, mais une fois qu’il est ouvert, elles lâchent toute leur puissance et ravagent l’esprit du lecteur sensible.

« N’est-ce-t-il pas le rôle de l’art, celui de susciter des émotions? » ai-je rétorqué à quelqu’un qui s’est marré quand je tombe en larmes pour pleurer les personnages d’un film. « Si le spectateur ne ressent rien, le film est en échec, car son but était d’émouvoir le spectateur. Et en même temps, le spectateur est en échec, car il a investi son temps, et peut-être son argent pour quelque chose qui ne rempli pas son rôle ».

Je voulais que les journées de congé que je me suis offertes sont investies de telle manière, à l’intérieur le refuge que j’ai construit pour moi. Celui où 5 ans avant j’ai voulu semer mes « graines de sentiments ». 

Il y a 5 ans, j’ai commencé mon blog personnel. Et dans la partie « About », voici ce que j’écrivais à propos de lui:

« Une petite fille qui grandit lentement, qui cherche à découvrir soi-même et son propre monde.

Une apprentie du français, de l’anglais, et aussi du vietnamien, convaincu que “La pratique mène à la perfection”.

Je laisse souvent ma raison prendre le dessus sur mes sentiments. Ce qui est parfois un gros désavantage. J’essaie de piéger mes sentiments quand ils surgissent, espérant de les garder, de les conserver. En vain. Remémorisés, revécus à un quelconque instant d’après, ils ne sont plus intactes. Peut-être il vaut mieux apprendre à être capable de ressentir et vivre pleinement avec ces sentiments imprévus au moment où ils arrivent, à ouvrir tous ses sens… Ce que j’appelle cultiver des graines de sentiments (seeds of feelings). »

5 ans après, que pense-je de ces mots ? Etais-je vraiment cette petite fille trop rationnelle? Ou plutôt, mes sentiments s’étouffent-ils tout seul, car, depuis toute petite, on ne me demandait pas ce que je ressentais, on s’intéressait seulement à mes notes, mes résultats, le nom de mon école, mon apparence, le montant de mon salaire, quand est-ce que je me serai mariée, etc., bref, à quel point je suis conformée à leurs attentes, à une normalité ridicule. Mes moments de loisir étaient plus d’une fois « une perte de temps », car tout le temps qui n’était pas consacré à l’école et aux devoirs était une « perte ».

Les grandes personnes aiment les chiffres. Quand vous leur parlez d’un nouvel ami, elles ne vous questionnent jamais sur l’essentiel. Elles ne vous disent jamais : « Quel est le son de sa voix ? Quels sont les jeux qu’il préfère ? Est-ce qu’il collectionne les papillons ? » Elles vous demandent : « Quel âge a-t-il ? Combien a-t-il de frères ? Combien pèse-t-il ? Combien gagne son père ? » Alors seulement elles croient le connaître. Si vous dites aux grandes personnes : « J’ai vu une belle maison en briques roses, avec des géraniums aux fenêtres et des colombes sur le toit… » elles ne parviennent pas à s’imaginer cette maison. Il faut leur dire : « J’ai vu une maison de cent mille francs. » Alors elles s’écrient : « Comme c’est joli ! » 

-Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry-

Je ne voulais pas argumenter, car pour moi c’était une (vraie) perte de temps. Je continue de me plonger dans ce petit monde quand je pouvais, et cela suffisait. La silence était ma voix, et les mots étaient mes émotions.

Ainsi, peut-être que ce blog, et aussi toutes mes créations avant ou après son commencement, font partie d’un refuge personnel et intime, que j’ai créé pour me protéger, pour préserver cette faculté de ressentir qui m’était refusée. 

Paradoxalement, depuis quelque temps, c’était moi-même, et personne d’autre, qui m’a contraint à délaisser ce refuge. Je me suis battue pour ce en quoi je crois, pour devenir celle que je voulais être. Sans repos, jusqu’au moment où j’en ai vraiment besoin.

La récente dépression me condamne souvent à pleurer, pour un petit rien. Voire pour rien.

Je retourne dans mon refuge. Les graines délaissées, il ne restait que les herbes envahissantes – pensées toxiques, dénigrement de soi, émotions incontrôlables et imprévisibles… 

Je n’argumente plus, je ne marchande plus avec moi-même. C’était urgent. Il faut que je retourne dans mon refuge, et que je me laisse aller à cet état d’ébriété artistique. Que je sois ivre de créer, d’absorber, de ressentir. De pleurer pour les inconnus et leur histoire fictive, où, comme disait Amélie Nothomb, « tout ce qu’on aime devient une fiction ». D’être bavarde en texte, d’être insatiable des belles citations à noter. Avec toujours la même musique qui tourne en boucle…

J’ai pleuré pour moi, car j’ai donné mon temps pour les autres. Pendant ces jours-ci, je pleure pour les autres, car je donne du temps pour moi.

PS: Une copine m’a demandé ce que j’ai planifié pour la suite de mon blog, comment je compte le développer. Je lui ai répondu que, depuis le début, je l’ai créé pour moi seule, et pour personne d’autre. Je n’ai jamais eu l’ambition qu’il soit lu par des milliers de gens, car je devrai peut-être céder cette part intime et personnelle qui m’est trop chère. Par conséquent, je n’ai aucune stratégie, aucune direction à suivre, et je ne compte pas d’en adopter une. Bien sûr, ça me fait plaisir qu’il ait des lecteurs, qui ont telle ou telle chose de commun avec moi et qui apprécient d’en parler et d’en discuter (d’ailleurs je n’imaginais même pas avoir un seul follower qui accepte de suivre un blog où il y a autant de catégories, de langues et de tons mélangés aléatoirement en fonction de mes envies spontanées – et j’en ai eu!!!). Nous ne nous sommes connectés que par les mots et par les émotions qu’elles provoquent, sans connaitre rien d’autre de l’autre. C’est nécessaire, car dans le cas contraire, le plaisir d’écrire pour soi n’y serait plus.


Merci aux lecteurs qui ont investi leur temps à la lecture de mes articles et j’espère sincèrement que cet investissement a été une réussite pour vous.

One thought on “[Thought] Blog, dépression et ébriété artistique

  1. Merci à toi d’avoir investi ton temps à partager ces mots et ces sentiments. Tu sais à quoi ton blog me fait penser ? A un jardin silencieux, dans lequel on peut se balader tranquillement en mettant toutes les inquiétudes de la vie quotidienne de côté. Et dans ce jardin, on ne sait jamais sur quelle plante on peut tomber la prochaine fois qu’on y retourne (avec des articles dans 3 langues différentes, sur des thèmes différents…). Et à chaque fois, c’est un plaisir d’y retourner.

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